Comment mettre en place un système d’évaluation.

Il n’y a pas de système figé, le meilleur est celui qui s’adapte à la nature de l’entreprise. Il doit y avoir des rencontres périodiques compte tenu de l’évolution rapide de l’environnement

Pour beaucoup d’entreprises, le «grand oral» annuel approche. Ce face-à-face n’est jamais une simple formalité. C’est souvent là que se joue la crédibilité du collaborateur, mais aussi du manager, le niveau d’augmentation du salaire, voire l’avenir des salariés. Sur la place, il s’agit d’une pratique peu répandue qui, pour l’essentiel, est mise en œuvre par les filiales des multinationales et quelques grands groupes privés nationaux, des entités dotées d’un système de gestion des ressources humaines bien structuré. Partout, les objectifs assignés à cet outil sont pratiquement les mêmes : comparer les réalisations aux objectifs, récompenser, définir un plan de progrès pour le collaborateur, entre autres par la formation…
Reste que la démarche peut varier d’une entreprise à l’autre. Du coup, La Vie éco a réuni des DRH et des consultants pour réfléchir sur les meilleurs moyens de concevoir un système d’évaluation efficace.
Dans la plupart des entreprises, l’entretien d’évaluation est une action ponctuelle qui se tient généralement avant la fin de l’année. Toutefois, certains managers, à l’instar d’Aicha Beymik, DRH de Manpower Maroc, se refusent à se limiter à ce moment solennel. A son avis, «l’évaluation doit être périodique. Avec les temps qui courent, comment voulez-vous avoir une visibilité sur une année, voire parfois sur trois ou six mois. Je pense que ces moments doivent être fréquents pour permettre de rectifier le tir en cas de mauvaises passes». Abdelillah Sefrioui, consultant RH, abonde dans le même sens en soulignant que «la fréquence dépend de l’entreprise et de son environnement, et qu’il peut y avoir des évaluations permanentes sans formalisation». 
Pour sa part, Amine Jamai, consultant et DG du cabinet Valoris Conseil, pose aussi la question de l’utilité d’un entretien d’évaluation. «Bien évidemment, c’est pour ne pas rééditer les échecs de l’année précédente mais aussi de voir mieux l’avenir. Malheureusement, j’ai bien rarement vu des évaluations courageuses qui permettent de donner le bon feed-back à l’évalué. C’est soit une complaisance, soit un règlement de comptes». En effet, comme le laisse suggérer M. Jamaï, l’entretien d’évaluation est un outil de management destiné non seulement à dresser le bilan professionnel et comportemental d’un collaborateur, mais aussi à définir les moyens d’améliorer sa contribution aux performances de l’entreprise. Ce n’est pas un système rigide de notation. Ce n’est pas non plus une simple rencontre informelle durant laquelle le collaborateur subit sans broncher les pulsions hiérarchiques de son supérieur. L’évaluation est basée sur un échange. D’une part, l’évaluateur vise, notamment, à faire le point sur la cartographie des compétences, améliorer les relations interpersonnelles, estimer les possibilités de promotions et clarifier les objectifs individuels, en rapport avec ceux de l’entreprise. De l’autre, l’entretien permet au collaborateur de collecter des informations sur la qualité de ses prestations, préciser la définition de sa (ou ses) mission(s), discuter le plan de carrière, la rémunération…
L’idéal est de donner 70% du temps de parole à l’évalué parce qu’il s’agit pour l’évaluateur d’«écouter», indique Mme Beymik. Abdelillah Sefrioui ajoute que «ces moments annuels sont également importants dans la mesure où on ne se focalise pas uniquement sur les rapports évaluateur-évalué, mais aussi de se pencher sur les problématiques qui touchent l’entreprise de manière générale».

Tout système d’appréciation nécessite des préalables

Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un processus intégré dans le développement des ressources humaines. Les participants sont d’avis que l’utilité de l’évaluation n’est plus à démontrer si elle est bien préparée et correctement menée. C’est la raison pour laquelle un tel projet est voué à l’échec s’il n’obtient pas l’adhésion de toute l’entreprise, préviennent-ils. «Il est utile de l’expliquer, définir les critères les plus conformes au contexte de l’entreprise et former aussi bien les évaluateurs que les évalués», conseille Aziz Taib, DRH de Stroc Industries. Il ajoute qu’«il faut une culture d’entreprise qui permet justement que l’entretien soit généralisé mais surtout bien compris par l’ensemble des concernés». A titre d’exemple, quelques groupes font circuler des guides d’entretien d’appréciation à tous les niveaux. Ces documents mettent notamment l’accent sur les objectifs, le système de notation, les principaux points à discuter et les différentes étapes du processus. 
D’autre part, Aziz Taib avance qu’on peut aller plus loin en impliquant certaines personnes à mettre en place le système le plus adapté à l’entreprise. «Le fait d’impliquer certains à proposer ou faire intégrer des compétences clés dans l’évaluation permet de le rendre plus accepté par les collaborateurs», dit-il. Par exemple, le fait d’avoir l’assentiment des représentants du personnel, ou du syndicat, sur la méthode mise en œuvre, donne plus de crédibilité à l’opération.
Bien évidemment, la direction RH a le rôle le plus important pour orchestrer ces entrevues mais elle n’est pas la seule. Qui doit en principe évaluer ? Pour la DRH de Manpower, «a priori, la charge revient au supérieur direct parce que c’est lui qui a défini les objectifs de départ, connaît parfaitement la personne… mais d’autres personnes peuvent être associées. Chez nous, par exemple, rien n’empêche le pôle RH d’assister à des rencontres mais ce n’est pas obligatoire».
Pour sa part, Amine Jamai, qui a notamment travaillé dans une multinationale anglo-saxonne en tant que DRH, adhère au principe de la collégialité. En d’autres termes, utiliser ce qu’on appelle le forced ranking ou la notation forcée. Il explique que cette méthode anglo-saxonne qui date des années 80 est une méthode transversale d’évaluation de performance qui prend en considération les objectifs individuels de l’évalué ainsi que sa contribution à la réalisation des objectifs globaux de l’entreprise. C’est un système d’évaluation «collégial» qui permet à chaque membre d’un comité d’évaluation de juger tous les collaborateurs de l’entreprise, sans se limiter à ceux de sa propre direction. Un collaborateur est évalué en fonction de ses compétences globales et classé par rapport aux collègues dont les postes ont le même poids dans l’entreprise. L’évaluation est forcée car, sur 100 collaborateurs, il y aura un numéro 1 et un numéro 100.
Selon M. Jamai, le principe est de forcer les managers à faire des choix sérieux sur la performance du personnel afin : d’augmenter l’esprit d’équipe aux bornes d’une entreprise ; que ceux qui contribuent au succès de l’ensemble de l’entreprise soient mieux notés que ceux qui se bornent à contribuer au succès de leur service uniquement ; d’obliger les responsables évaluateurs à intégrer des avis externes à leur direction, permettant d’avoir plus de cohérence d’ensemble et de diminuer les effets «silos» d’honorer les performances sur la base d’éléments rationnels, compris par tous et enfin de renforcer la nature de la décision d’attribution, qui est prise par le comité d’évaluation et non plus que par une direction, une personne…
Il se produit ainsi une solidarité de décision, qu’elle soit en faveur ou en défaveur d’un collaborateur. Un collaborateur félicité par le comité apparaît sur les radars de l’ensemble des directions comme collaborateur potentiel à récupérer chez soi, et créer, de facto, un système de «high-potential», ou de «star système», lui-même attractif pour la marque employeur, sur le marché.
Naturellement, cette méthode n’est pas la seule ; il en existe d’autres comme le 360 degrés, l’assesment center. L’essentiel pour l’entreprise est d’appliquer la mieux adaptée à son activité et à son environnement.

Ne jamais faire des promesses qu’on ne peut pas tenir

En résumé, l’évaluation est donc un projet à préparer sur le long terme. Dès lors, il est indispensable d’avoir une DRH bien structurée et une organisation claire. Comment évaluer si on n’a pas de référentiel de compétence, de fiche de poste, une stratégie de rémunération ? Aziz Taïb insiste d’ailleurs sur l’importance de ces éléments.
A l’approche de la période d’évaluation, certaines entreprises informent leur personnel une quinzaine de jours à l’avance pour que chacun puisse préparer ses arguments. Certains insistent sur le fait que l’entretien doit se dérouler en dehors du cadre institutionnel (le bureau du chef). L’objectif est de le dédramatiser et de faire en sorte qu’il soit un moment d’échange bénéfique. Certains managers préconisent carrément d’organiser, à un certain niveau hiérarchique, la séance, dans un restaurant, autour d’un repas. Les échanges seront plus détendus, mais on ne doit surtout pas oublier qu’il s’agit avant tout de faire le point sur le travail, les objectifs, les performances, les moyens à mettre en œuvre pour progresser… Du sérieux, en somme.
Pour M. Jamai, «l’essentiel est d’établir des règles claires ; il ne doit y avoir ni règlement de comptes ni complaisance ». À l’évidence, ces recommandations sont très importantes. « Parfois, les évaluateurs ont tendance à ménager leurs collaborateurs ou tout simplement, n’ont pas la force de leur dire la vérité en face », commente M. Sefrioui. Au total, l’objectivité doit primer, même s’il est parfois difficile pour un évaluateur de faire accepter toutes ses remarques. D’où l’intérêt du forced ranking. 
De toutes les manières, en cas de divergences, «l’évalué et l’évaluateur ont toujours la possibilité d’en faire part au responsable hiérarchique (n+2) pour convenir, après concertation, d’une position définitive», indique M. Taib qui souligne au passage que les résultats sont pris en considération pour les bonus annuels et les augmentations de salaires, sans que cela ne soit systématique. C’est ainsi qu’Amine Jamaï insiste sur le fait qu’«il ne faut jamais faire une promesse qu’on ne peut pas tenir».
Bref, il est utile de récompenser les performants. Mais le plus important pour l’entreprise est de se projeter dans l’avenir. Autrement dit, adapter ses ressources humaines à l’évolution de l’entreprise et de son environnement par la formation, la mobilité interne et le coaching. Autrement dit, il faut aider les moins performants à se mettre au rythme de l’entreprise, en les accompagnant en fonction des difficultés identifiées. Difficultés, faut-il le souligner, qui peuvent provenir du mode de management. Si les échanges ne sont pas restrictifs, le manager pourrait aussi s’apercevoir qu’il a des attitudes à changer ou des initiatives à prendre pour mener son ou ses collaborateurs, de l’avant. Encore faut-il qu’il comprenne les enjeux et soit en mesure de bien conduire l’entretien. A cet égard, nos spécialistes insistent sur la nécessité de former les évaluateurs. Certes, un manager connaît ses collaborateurs, mais n’est pas toujours en mesure d’affronter ces moments, souvent solennels, où peut se jouer une carrière.

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