Attirer, motiver et fidéliser les talents
Enjeux RH
Attirer, retenir, fidéliser pour gagner la bataille des talentsQuadras, trentenaires et jeunes diplômés : ces générations représentent aujourd’hui les forces vives de l’entreprise. Pour les attirer et les retenir, il faut d’abord les comprendre puis adapter sa stratégie.
« Pourquoi t’as démissionné ? » « Y’avait pas de récré, ils ont bloqué Facebook, les tickets restau n’étaient que de 1500 F, je ne savais plus vraiment pourquoi je faisais ce taf… » Le trait est sans doute un peu exagéré dans ce dialogue entre deux trentenaires affalés sur leur canapé, extrait de la série Bloqués sur Canal+. Peut-être pas tant que ça, estime Laurent Desomer, DRH du groupe de services numériques Open, qui compte dans ses équipes une majorité de jeunes et de quadragénaires: « La relation au travail des cadres a évolué. S’il faut se garder de généraliser, ils sont désormais plus dans une logique de consommation. Comme dans la vie. L’entreprise doit répondre à leurs attentes instantanées. » Celles-ci ne sont pas exactement les mêmes selon leur classe d’âge. Née entre le début des années 80 et le milieu des années 90, la génération Y aspire à plus d’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Hyperconnectée, la génération Z, venue au monde après 1994, s’épanouit dans un environnement de travail en mode partagé, une logique communautaire et une absence de frontière entre le privé et le professionnel. Quant à la génération X, apparue entre les années 60 et 80, elle est certes plus respectueuse des contraintes des organisations et probablement plus fidèle, mais elle privilégie aussi un environnement professionnel épanouissant et porteur de sens. « Cette évolution du rapport à l’univers professionnel concerne donc bien toutes les générations », remarque Ghislain Grimm, directeur innovation du cabinet de conseil en immobilier d’entreprise Colliers International, très à l’écoute du marché de l’emploi, des attentes de ses 260 salariés et des évolutions managériales. « Et les souhaits explicitement exprimés par les moins âgés sont globalement partagés par tous, y compris par les quadragénaires. »
Donner du sens
Le sens donné à leurs actions est ainsi devenu une revendication forte des cadres pour toutes les générations, de même que l’aptitude à la mobilité ou la réticence face à l’autoritarisme. Si cette manière d’appréhender le monde du travail s’avère innée chez les Y et les Z, les X eux-mêmes dédaignent désormais les discours convenus, les consignes sans explication et les parcours linéaires. Ils changent de métier – ou d’entreprise – au gré des opportunités, optant de plus en plus facilement pour des allers-retours entre salariat et entrepreneuriat.Le niveau de rémunération compte toujours beaucoup mais les benjamins comme leurs aînés sont également plus attentifs à la qualité de vie au travail, au profil de leur employeur et au sens donné à leurs engagements. « Il y a deux ans, ils avaient encore tendance à privilégier la stabilité au sein d’un grand groupe. Aujourd’hui, ils sont plus sensibles à la mission de l’entreprise, à son impact sociétal, à la manière dont elle évolue et comment ils pourront y contribuer » constate Saad Szniber, cofondateur du moteur de recherche de personnes Yatedo (15 collaborateurs) actuellement en phase active de recrutement. Les grands groupes comme LVMH, L’Oréal, Engie ou Axa figurent toujours en tête des entreprises les plus attractives, selon une étude1 de LinkedIn publiée en juin 2016, mais la concurrence s’accentue sur les métiers en tension, et des groupes de taille plus petite comme Criteo, 2 000 collaborateurs, leader mondial de la publicité numérique, se hissent maintenant parmi les premières places.Dorénavant, pour attirer les talents et les faire adhérer au projet collectif de l’entreprise, il est nécessaire de leur proposer un management plus horizontal, plus transversal, plus participatif, caractérisé par l’autonomie et l’agilité, des missions intéressantes, vecteur de développement des compétences, des challenges, des hackathons, de l’éthique, des horaires flexibles, dans un cadre cohérent et bienveillant. « En somme, une ambiance de travail épanouissante », résume Saad Szniber.
Du digital sous toutes ses formes
Au-delà de ces promesses, c’est tout le processus de recrutement qui doit être en phase avec les usages des candidats. Pour toucher un maximum de personnes, mieux vaut aujourd’hui privilégier internet. Les jobboards et les sites d’offres d’emploi restent des valeurs sûres. Selon Prism’emploi2, un jeune sur deux s’y connecte lors de sa recherche d’emploi. De même, les réseaux sociaux, des plus classiques aux plus ciblés, comme Snapchat en direction des Z, attirent toutes les classes d’âge. Une tendance essentielle et durable qui permet une approche proactive et personnalisée. Le plus efficace ? Inciter les collaborateurs à communiquer sur l’entreprise via leurs propres comptes Twitter ou LinkedIn. « S’ils l’évoquent comme un lieu où l’on se sent bien, c’est le meilleur vecteur qui soit » assure André Perret, vice-président du cabinet de conseil en management DPM&Associés, regroupant 15 salariés, et auteur du livre Travailler avec les nouvelles générations Y et Z (éditions Studyrama-Pro). Référence du logement social avec 250 000 logements, la société 3F, confrontée elle aussi à un marché de l’emploi en tension, dispose ainsi, parmi ses 500 cadres, d’un petit groupe d’ambassadeurs qui relaient, en fonction de leur métier et de leur engagement sur certains sujets, les informations 3F ou offres d’emploi. « Ils ont plus de crédit que l’employeur », constate Carole Thomas, directrice de la communication.
Une réputation à la hauteur
Plus généralement, chaque occasion de faire du buzz autour de ses activités est à saisir ou à susciter. Des salariés de Colliers International s’investissent par exemple dans l’association Nos Quartiers ont des Talents. Le groupe organise aussi des visites dans les locaux de ses clients rénovés par ses soins, reportages et témoignages à l’appui, ou des conférences dûment relayées par des communiqués de presse. 3F met en ligne « Le conseil du recruteur », sous forme de tutoriel agrémenté de portraits de collaborateurs et d’infographies. Ses responsables RH dialoguent directement en ligne avec les candidats. Ponctuellement, Open ouvre un salon virtuel, MyJobbyOpen, permettant aux candidats de le parcourir de stand en stand par région et de rencontrer des managers en ligne. Ces innovations n’échappent pas aux talents en recherche d’opportunités. Autre piste intéressante, pour toucher les jeunes diplômés cette fois : les partenariats avec les écoles via l’organisation de conférences ou de challenges, qui offrent de la visibilité à l’entreprise et facilitent le repérage de profils intéressants. Référent du monde HLM et pourtant méconnu, 3F participe depuis quelques années aux séminaires d’intégration de l’ESTP (École spéciale des travaux publics) : « Une fois le contact établi et nos atouts dévoilés, comme nos collaborations avec de grands architectes, les jeunes viennent vers nous avec des étoiles dans les yeux », constate Carole Thomas.
Les « amis » en renfort
La cooptation constitue un autre levier important de recrutement. « Nos collaborateurs sont nos meilleurs ambassadeurs », constate Laurent Desomer, DRH d’Open. Bénéficiant d’un réseau encore frais dans leur ancienne société, les nouveaux arrivants y sont particulièrement encouragés à transmettre des CV. Open rémunère même ses salariés qui déploient cette pratique. Chez Colliers International, la cooptat ion représente 90 % des embauches. Econocom, acteur européen de services numériques aux entreprises, très attentif à l’attractivité de son positionnement en tant que recruteur, invite quant à lui les amis et la famille des salariés aux afterworks et aux événements. Peu coûteuse, la méthode permet de faciliter l’embauche de profils qualifiés témoignant d’un intérêt pour l’entreprise. Toutes ces initiatives hors des sentiers battus permettent de cibler efficacement des candidats potentiels de toutes générations.
De l’écoute et des preuves
L’étape de l’entretien est elle aussi décisive. Contrairement à leurs aînés moins exigeants à l’époque, bien qu’ils se soient lancés comme eux dans la vie active sur un marché de l’emploi difficile, les jeunes ont des attentes précises et des critères de décision par rapport à l’environnement de travail qui pèsent sur leurs choix. « Grâce à internet, ils disposent de toutes les informations nécessaires et des retours d’expérience des personnes en poste » analyse Saad Szniber. Quant aux moins jeunes, forts d’une ou de plusieurs expériences professionnelles, ils savent exactement ce qu’ils recherchent. « Avant de postuler ou de se rendre à un entretien, ils consultent des forums, des sites de notation ou les réseaux sociaux afin de vérifier et de croiser les informations », précise Élisabeth Estignard, DRH de 3F.Aujourd’hui, chacun se trouve à égalité avec le recruteur. Quand ce n’est pas celui-ci qui cherche à se faire embaucher… « Recrutez-nous ! » suggère Open sans ambages, sur son site. Dorénavant, durant cette entrevue, au-delà du discours formaté de l’entreprise, le candidat cherchera surtout des preuves. « Il veut collaborer avec une communauté choisie et savoir précisément ce que l’employeur lui propose » souligne Ghislain Grimm. « Autrement dit, en quoi on le mérite ! complète Sébastien Musset, directeur exécutif d’Econocom en charge de la transformation et des ressources humaines. Comme pour un mariage, il faut que cela matche. » D’où la nécessité de créer les conditions d’une véritable rencontre, où chacun aura à coeur de découvrir l’autre et de tester sa motivation via une écoute de qualité. L’objectif pour l’employeur : faire preuve de considération à l’égard des candidats – présence des dirigeants, visite des locaux, présentation complète de l’entreprise et de ses orientations, de la place que le nouvel arrivant pourrait prendre, etc. – et se rendre attractif en se montrant le plus clair et honnête possible dans les promesses énoncées. Survendre les futures missions, c’est prendre le risque d’une grave déception. Dans l’ensemble des classes d’âge mais encore plus chez les jeunes, les candidats sont prêts à faire des concessions et sont conscients que le poste idéal n’existe pas ; pour autant, « ils attendent du concret », rappelle Sébastien Musset. André Perret plaide ainsi pour une grande transparence : « Il faut être capable de dire que le service est en restructuration pour six mois ou que le patron a mauvais caractère mais que la nature du travail est géniale. »De son côté, le recruteur a peut-être intérêt à s’attacher moins aux diplômes du candidat qu’à ses stages effectués, à sa capacité à travailler en groupe, à son aptitude à l’empathie et à sa motivation.L’après-entretien ne doit pas être moins soigné : réponse rapide, invitation aux soirées ou aux animations organisées dans l’entreprise, rencontre avec ses futurs collègues, présentation des outils, identifi cation de ses premières missions… Reste ensuite à faire vivre la promesse au quotidien par l’accompagnement des trajectoires de carrière en interne, par la formation, l’application du droit au retour, etc. Une bonne occasion de sortir du lot pour les PME agiles et novatrices, à condition de se faire connaître.